Cette belle balade sur le Pilier d'Autridge en compagnie de Max avait presque été trop agréable, nous décidons donc de nous lancer dès le lendemain dans quelque chose de beaucoup plus velu....
Parmi le tas de projets à la con qui s'empilent dans mes tiroirs, ce couloir dans le lointain Dévoluy focalise mon attention. La ligne est magnifique, l'approche semble courte, plusieurs variantes sont possibles et les infos collectées laissent planer un enivrant nuage de mystère : quelques lignes de description sur C2C, une seule sortie de répertoriée, une voie de descente énigmatique, le tout sur un sommet dont j'ignorais jusqu'à l'existence...L'aventure semble garantie !
Max est également très enthousiaste. Il ne nous reste plus qu'à convaincre Tof de sécher ses cours pour nous accompagner, et ce sera loin d'être difficile ! Le réveil sonne à 3 h 15, encore une nuit bien courte...
Photo et Tracé de l'itinéraire par Nico Galy. Nous avons emprunté la ligne la plus à droite que Nico avait baptisé "variante de l'Arche" en 2009. Cependant nous avons découvert après quelques recherches que cette voie avait déjà été parcourue en 2005 et que les ouvreurs lui avaient donné un nom bien plus poétique "La Voix du Vagin"... Pour la description des autres variantes plus faciles vous pouvez vous référer au topo de C2C.
6 H 30 départ à la frontale (le couloir débouche au col bien marqué au centre de la photo)
Le couloir est tout proche mais, dans cette neige où l'on s'enfonce souvent au dessus du genou, il nous faudra plus de trois heures pour le rejoindre...Les joies des sorties hivernales !
Vue sur les grands sommet du Dévoluy : Un peu à gauche du centre de la photo, la face Est du Grand Ferrand qui nous en avait bien fait baver l'année dernière et près du bord droit, l'Obiou qui nous réserve encore bien des aventures.
Christophe dans les premiers ressauts faciles et ludiques.
Progression rapide dans la partie inférieure de ce beau couloir bien encaissé.
Nous gravissons rapidement toute la première partie du couloir constituée de petits ressauts mixtes faciles reliés par de belles pentes de neiges raides et encaissées. Les conditions sont bonnes et c'est un réel plaisir après avoir bataillé dans la poudreuse pendant l'approche.
Max dans ce très beau passage où la glace fait à peine la largeur d'un crampon.
J'arrive un peu avant mes camarades devant le premier passage technique : une étroiture barrée par une dalle quasi verticale, haute de 5 à 10 mètres. Droit dans l'axe, une fine coulée de glace, d'une quinzaine de centimètres de large tout au plus, raye cette dalle compacte, tandis qu'à gauche, une langue de glace plus large semble permettre une ascension relativement aisée.
Je tente d'aller voir ce que ça dit à gauche mais la sortie en mixte est très exposée et redescendre est désormais problématique. Très mauvaise décision que de se lancer dans ce passage sans être encordé ! Max sauvera la situation en remontant la fine coulée de glace en solo puis en nous envoyant la corde.
Je sors de ce premier passage technique assuré par la corde salvatrice envoyée par Max (photo Max)
Après ce beau passage, nous remontons un couloir de neige qui nous conduit rapidement à une nouvelle étroiture. De là il est possible de continuer dans l'axe logique de l'ascension ou d'obliquer à droite dans une zone de mixte très raide qui devrait - si nos informations sont bonnes - nous conduire à ce fameux Vagin. Nous sommes en forme et prêts à en découdre. Nous n'hésitons donc pas longtemps avant de nous lancer à l'assaut de ce trou tant convoité.
L'escalade tourne à l'affrontement : Christophe dans la première partie du passage mixte de 30 mètres. (photos Max)
D'après le topo ce passage fait 30 mètres et il est "extrêmement raide et difficilement protégeable", ça promet...Nous installons un solide relais sur une broche à glace et une lunule puis, tel un chevalier revêtant son armure, je me barde de matériel ! Je monte de trois ou quatre mètres avant de trouver une fissure étroite où je loge solidement mon petit Alien noir ce qui me permet d'envisager relativement sereinement les quelques pas délicats qui suivent.
Christophe sort de la cheminée (photo Max)
il faut ensuite gravir une courte et raide cheminée. Au dessus, il reste encore un passage mixte d'une dizaine de mètres avant d'atteindre la sortie.
Ca ne semble pas très difficile mais je n'ai pu poser aucune protection depuis le petit friend qui est maintenant près de 20 mètres plus bas. Je regarde autour de moi mais je ne vois aucune possibilité d'assurage à part une fissure juste avant la sortie qui semble délicate à atteindre et très décalée par rapport à la ligne d'ascension. Je me résous donc à poser une protection d'utilité uniquement psychologique en vissant une broche à glace dans de la neige à peine dure.
Vue sur les derniers mètres avant le relais (Photo Max).
Les dix derniers mètres passent bien, avec néanmoins un pas de sortie assez délicat que je m'efforce de franchir le plus calmement possible, sans penser à la chute de quarante mètres qui m'attend en cas de faux pas.
A la sortie je découvre une double récompense : tout d'abord une vue imprenable sur le Vagin dont l'orifice n'est plus qu'à quelques dizaines de mètres et, en rive droite du couloir, un relais équipé d'une sangle et d'un câblé (seul matériel en place rencontré durant toute l'ascension).
Christophe et Max sortent du Vagin dans des pentes raides
Le dernier ressaut
Christophe sort du dernier ressaut (Photos Max)
Ce dernier passage tout en glace est bien technique et physique car le bas du ressaut forme une petite cavité masquée par des stalactites de glace qui s'effondrent sous les coups de crampons. On est donc contraint de se tracter complètement sur les piolets dans les premiers mètres. Heureusement que c'est très court !...
L'équipe au complet prend pied sur l'arrête (Photo Max)
Nous prenons pied sur l'arrête aux environs de 13 H 30. Il est maintenant temps de choisir une des trois voies de descente possibles :
- Suivre l'arrête vers le Sud Est jusqu'au sommet puis continuer jusqu'à la brèche du Pic Ponsin où il est possible de descendre versant Ouest
- Redescendre dans le couloir de montée en désescaladant et en tirant des rappels
- Suivre l'arrête vers le Nord Ouest pour rejoindre la crête du Liéraver depuis laquelle on doit pouvoir descendre facilement.
Dans tous les cas ça risque de prendre du temps. Nous abandonnons donc l'idée de faire un aller retour au sommet et nous choisissons d'un commun accord la solution qui semble le plus simple : suivre l'arrête vers le Nord Ouest.
Sur l'arrête
Nous suivons donc cette arrête joliment effilée et aérienne. Nous approchons de la crête du Liéraver quand l'arrête que nous suivons s'interrompt tout à coup en une falaise abrupte. L'ambiance est vraiment gazeuse avec le vide de la face Est qui s'ouvre à notre droite. Nous ne trouvons rien de valable pour poser un rappel et de toute façon nous n'avons aucune envie de descendre là-dedans.
Notre couloir de descente
Nous revenons donc sur nos pas. Après une centaine de mètres nous trouvons un couloir qui descend versant Ouest. Nous ne savons pas du tout où il va nous mener mais l'heure tourne et nous n'avons plus vraiment le choix. Nous descendons donc dans l'étroiture qui débouche sur une petite plateforme neigeuse.
Le premier rappel
Un béquet rocheux nous permet d'installer un rappel vers un couloir raide qui semble interrompu par une barre rocheuse. On perd un temps fou à démêler la corde. Il est déjà plus de 16 heures quand le rappel est enfin installé, les heures filent à une vitesse inquiétante.
Passablement terrorisé je laisse lâchement à Max le soin de descendre en premier...Il s'immobilise sur la corde une vingtaine de mètres plus bas et nous crie quelque chose que le vent nous empêche de percevoir. Après un long moment il repart et disparaît hors de notre vue.
Pendant ce temps je patiente en plein vent avec Christophe qui a vraiment une sale tronche et commence à divaguer : "T'as vu ya un skieur en face qui nous regarde ! - Non je vois rien Christophe... - Mais si regarde là-bas juste sous l'arrête...sérieux tu le vois pas ?". Il n'y a rien à part des cailloux...
Au bout d'un long moment la corde se détend. J'aide Christophe à s'équiper car il ne sait même plus dans quel sens se met son descendeur. Après encore un temps interminable la corde se détend à nouveau et je peux enfin descendre à mon tour.
La cheminée de la fin du premier rappel
A l'endroit où Max s'est arrêté un long moment le couloir plonge dans une étroite cheminée verticale. En fait Max voulait faire un relais à cet endroit mais la corde s'était bloquée plus bas à cause des noeuds en bout de corde (stupide précaution plus dangereuse qu'utile !...). Après quelques mètres de descente dans la cheminée j'aperçois enfin mes camarades. Max me crie : "Fait gaffe, il manque 2 mètres de corde en bas !". Je finis donc le rappel par une technique assez Rock n'Roll en me suspendant sur mon prussik...
Nous sommes désormais sur une pente de neige inclinée à 55-60° que nous désescaladons prudemment.
Au pied de cette pente raide, Max trouve une fissure pour planter un bon piton et installer un ultime rappel. Il est plus de 17 heures quand nous sommes enfin tous les trois hors de danger en bas de ce rappel.
Nous achevons la descente par de longues glissades contrôlées dans les couloirs de neige dure puis par une dernière bavante dans la neige profonde sur le bas. Il fait nuit noire quand nous atteignons la voiture à 18 H 30.
Christophe se plaint de ses pieds. Il a un gros orteil dans un état inquiétant : noir, froid et insensible. Cette gelure s'avéra fort heureusement sans grande gravité.
Vu les conditions assez exécrables que nous avons dans les Préalpes cette année, ce sera peut être la seule sortie de ce type de la saison. Mais nous n'avons pas regretté notre choix car c'était vraiment une voie superbe, peut être bien la plus belle de toute ma courte liste de courses hivernales. Il nous a certainement manqué un peu d'expérience pour gérer la descente plus sereinement. En tous cas, nous avons tous les trois beaucoup appris au cours de cette très longue journée.